Vous vous demandez comment cela se passe à bord ? Alors la suite est juste ici. Cela va peut-être vous rappeler des souvenirs de croisière ?
En les plaçant sous deux ou trois hauteurs de ponts, on obtient de grandes élévations que l’on recouvre parfois d’un précieux dôme de vitrail. Des verrières si fragiles que celle du City of New York, par exemple, ne résiste pas aux nuits glacées de l’Atlantique Nord. On ne compte pas les fois où le dôme s’est fracassé contraignant les dîneurs à une retraite précipitée. Pourtant, mieux vaut lever les yeux vers ce ciel de cristal que de contempler l’horizon, qui monte, qui descend, à travers le hublot… Tout est fait pour que le passager en détourne ses regards. Ce n’est pas un hasard si, dans les salles à manger de La Lorraine ou de La Savoie, mis en service en 1900, les hublots sont voilés ou opacifiés. Sur l’Imperator, les fenêtres du jardin d’hiver – lui-même une illusion de jardin avec topiaires et bassins en trompe-l’œil – ne s’ouvrent que sur le ciel : la pièce est suspendue à plus de dix étages au-dessus des flots. On peut aussi supprimer carrément toutes les ouvertures et, par-là, toute allusion à l’élément liquide : on arrive ainsi à la salle à manger du Normandie, précieux coffret hermétiquement clos mais ruisselant de lumière sous le staff doré des plafonds. Là, le passager n’a plus de repère, nul lien angoissant ne se crée avec l’extérieur ; il est plongé dans une autre et bienheureuse dimension.
Curieusement, d’une époque à l’autre, le fait de « voir la mer » depuis des salons et salles à manger n’est pas perçu de la même manière. Ainsi, en 1938, la brochure du Nieuw Amsterdam – porte-drapeau de la compagnie néerlandaise Holland-Amerika Line, vante les mérites du restaurant du pont A en insistant sur le fait qu’il n’a « ni fenêtres ni hublots face à la mer » ; c’est l’argument choc, peut-être même plus convaincant que le décor pourtant très réussi de cette salle : murs ivoire, plafond d’or pâle, colonnes dorées à la feuillet et mobilier en bois de satin. Or, trente ans plus tard, pendant la construction du Queen Elizabeth 2, ce que l’on fait miroiter à la future clientèle, ce sont les restaurants des ponts supérieurs d’où l’on jouira d’une vue imprenable sur l’époustouflant spectacle des vagues…
Toutefois, il faut se rendre à l’évidence : rien ne peut faire qu’un bateau ne soit pas un bateau. Il y aura toujours de la casse à l’office (sur l’Etruria, vers 1890, on brise environ mille verres et cinq-cents assiettes, tasse et soucoupes par traversée) ; on devra toujours, par gros temps, arrimer les vases de fleurs et tout ce qui menace de glisser, rouler, déborder. Et on continuera d’avoir recours à toutes sortes de garde-fous : cordes autour de la piste de danse, soudain harnachée comme un ring, ou « violon » sur les tables pour retenir – dans un casier de cordons et planchettes – le verre de vin plein et l’assiette de consommé brûlant. Mais tout dépend du bateau. Il en est de très stables comme de très agités. Certains sont connus pour être des « rouleurs » sur lesquels les traversées ne sont pas de tout repos. C’est le cas du Kaiser Wilhem der Grosse (1897) qui conjugue luxe, confort, espace et élégance, mais qui « roule » terriblement quand la mer est houleuse. Au point que les Américains le surnomment « Rolling Billy ». Et s’il ne faisait que rouler… il vibre aussi ! Les passagers n’ont pas oublié cette soirée de 1906 où le compositeur italien Ruggero Leoncavallo vint donner un concert de gala. Quel supplice cela fut d’endurer cette cacophonie où se mêlaient l’orchestre, le ronflement des machines, le bruit des ascenseurs, et surtout les atroces vibrations. Insoutenable !
Le Lusitania vibre aussi. A pleine vitesse, ses cabines de seconde classe sont inhabitables. Le gracieux Deutschland, plusieurs fois détenteur du Ruban bleu, vibre depuis ses débuts. Quand il est lancé à plein régime, on ne s’entend plus dans le grand bar dont l’énorme lustre cliquette de ses milliers de pendeloques de cristal. Même chose pour le France de 1912 qui, pour de pareils dérèglements, reprend le chemin du chantier naval. Les plus grands ne sont pas épargnés : le Queen Mary tremble de toute sa carcasse à partir de 30 nœuds. Et le Normandie ! Les vibrations qui affectaient le tiers arrière du navire faillirent gâcher la traversée d’inauguration. Madeleine Jacob, chroniqueuse du magazine « Vu », en témoigne : « Cela tremblote un peu, oh ! très légèrement, dans la salle à manger de première classe. Un rien, l’ébranlement d’un autobus qui passe. C’est supportable. Où cela ne l’est plus, c’est en touriste. La cabine que je viens de visiter, celle de notre photographe, danse une gigue convulsive dans un vacarme d’orage d’opéra ! »
Ces colosses de fer sont délicats comme des montres à gousset ; sans cesse, ingénieurs et mécaniciens les auscultent, travaillant à supprimer les trépidations et autres frasques de la machine. En mars 1937, le Normandie, doté de nouvelles hélices, fait enfin une traversée presque silencieuse. Mais supprimer les bruits ne suffit pas, il faut aussi supprimer les risques et, là-dessus, le passager veut des assurances, des certitudes mais… pas trop de précisions non plus ! Il y a une sorte de contrat de sécurité tacite entre la compagnie et la clientèle, une terreur superstitieuse à évoquer le danger. Les catastrophes maritimes, relayées par les gros titres de la presse, provoquent un traumatisme collectif. Allez rassurer la clientèle après cela ! La peur du feu, par exemple, est permanente. Nombre de navires lancés dans les années 1900-1910 sont le théâtre d’incendies répétés. L’Imperator les collectionne à un rythme effarant. Quand la Cunard, après le premier conflit mondial, reçoit ce grand navire de la HAPAG en dédommagement de son Lusitania, elle ne fait pas vraiment une affaire. Rebaptisé Berengaria, il flambe à tout propos. Le gouvernement américain en interdit l’accès à ses concitoyens et la Cunard l’envoie à la casse en 1938.
Le « style paquebot » initié par l’Île-de-France est une réponse décorative à ce fléau : plus de pampilles, de capitons ni de tentures, juste de la lumière, et du vide que compense l’incombustible beauté de la pierre et des marbres, des verres moulés, du métal, des céramiques et des glaces taillées, des laques, et des bois ignifugés. Le United States (1952), vaisseau chéri des Américains et qui compte parmi ses habitués Cary Grant et les Windsor, va plus loin encore : pas de bois du tout, rien que de l’aluminium et pour le mobilier également. Son architecte, William Francis Gibbs, fait même une tentative auprès de la maison Steinway pour qu’elle lui fabrique un piano tout en aluminium ! Sa demande restera sans suite…
L'architecte naval William Francis Gibbs
Enfin, il faut bien en venir au sujet tabou par excellence : le naufrage. Jusqu’à la catastrophe du Titanic, on se contente d’un seul mot : « insubmersible ! », et cela suffit. L’élégante clientèle des transatlantiques, arrogante et inconsciente, est convaincue de la toute-puissance du progrès. Mais après le drame du Titanic, c’est terminé. La presse se fait l’écho d’une nouvelle attitude et, un mois et demi après la tragédie, on peut lire dans « Le Petit Journal » : « On ne doit pas effrayer les passagers, mais il est plus dangereux de leur cacher le danger que de les armer contre lui. Ils savent bien que les bateaux, si perfectionnés qu’ils soient sont toujours à la merci d’un abordage […] ou d’une tempête […]. Mieux vaut donc les préparer à se conduire intelligemment. » En janvier 1914, à Londres, seize nations prennent part à la Conférence internationale pour la sécurité de la vie humaine en mer et fixent les mesures et exercices auxquels passagers et équipage devront se soumettre. Certes, il faut reconnaître que la présence dans la cabine de la ceinture de sauvetage – avec indication du numéro de chaloupe que l’on doit rejoindre en cas de sinistre – jette toujours un froid… Mais les exercices finissent par s’intégrer rapidement au folklore du navire, véritables activités de plein air quand le temps est beau. En 1927, on voit le Père Joseph Bulteau – missionnaire embarqué à bord du Sphinx pour rejoindre la Corée – se présenter de très bon gré aux manœuvres de sauvetage. Il a mis sa ceinture, comme tout le monde… sauf « les bonnes sœurs [qui] n’ont pas fait comme les autres, sans doute parce que […] la cornette [peut aussi] servir de ceinture de sauvetage. » On voit que ces mesures n’engendrent pas la mélancolie !
Le fameux Titanic...
Il est étonnant de constater à quel point les passagers oublient vite leurs peurs, même – et surtout ! – quand il y aurait quelque raison de s’inquiéter… Le 5 février 1962, vers 19 heures, alors que le France atteint le point le plus septentrional de sa traversée inaugurale, la météo vire à la très forte tempête. Un officier de quart se rappelle cette soirée : « L’avant s’est levé comme si nous avions heurté un iceberg et le nez s’est mis à plonger dans les vagues. L’ingénieur-réalisation, monté dans la passerelle, décomposé, soupirait : ‘Mon bateau va se casser !’ » On gardera ce coup de tabac secret pour ne pas ameuter la presse. Quant aux passagers, à croire qu’ils n’ont rien senti : ce soir-là, quelques plaintes concernent le bruit des hélices, celui des boules du bowling-club, « la grande fragilité de la verrerie en cristal de Saint-Louis », la médiocre qualité de l’andouille, et c’est à peu près tout. Mais en effet, de quoi se plaindrait-on ? A bord, tout est luxueusement agréable. On compte un membre d’équipage pour deux passagers, c’est dire qu’il suffit d’émettre un vœu pour qu’il soit exaucé. Et, contre vents et marées, « la nave va ! ».
Sur une mer agitée...que d'aventures !
Bonne traversée !
Auteure : Nina
Rédactrice chez Les Experts Croisières
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